Sur la pente sud-est du mont Orgier, Laurent Paulin indique une microplantation datant d’un an. « Le versant au soleil est le plus atteint par les épisodes successifs de sécheresse. Ici on a fait une petite coupe rase pour limiter l’impact paysager. On fait attention à cet aspect, on n’a pas envie de tout raser, même si on n’a pas de contrainte réglementaire sur cet aspect. » La plantation est encore fragile. « Ce n’est pas évident. Il ne faut pas que les arbres à côté tombent sur ce qu’on a planté. Un gros coup de vent peut suffire car ils sont fragilisés par le changement de climat. On a voulu un enrichissement qui s’intègre bien dans le paysage avec des essences qui ont plus de chances de résister que les sapins ». C’est un travail plus délicat qu’il n’y paraît. Il faut planter des arbres capables de pousser en pleine lumière, avec des essences d’accompagnement, tenir compte de l’évolution ultérieure de l’ombre et la lumière, protéger les jeunes pousses des animaux (apparemment, la laine de mouton est un répulsif efficace).
Sécheresse et stress
Le responsable de l’unité territoriale d’Orgelet de l’ONF a une vingtaine d’années d’expérience de la forêt. Mais, en poste depuis 3 ans et demi dans ce secteur, il est confronté comme nombre de ses collègues à l’évolution du climat et ses conséquences : arbres fragilisés par les périodes de sécheresse et, en conséquence, rendus plus vulnérables aux maladies, incendies, tempêtes… Selon Hervé Le Bouler, spécialiste de la forêt, la Petite Montagne est une zone emblématique de la filière bois-forêt : on y trouve un artisanat et une petite industrie du bois de longue date et des arbres en mauvaise santé : frênes victime de chalarose, épicéas du scolyte, sapins qui dépérissent (1). L’Observatoire des forêts sentinelles comtoises, qui fédère plusieurs recherches universitaires, constate que « depuis au moins 3 ans, les forêts du massif jurassien donnent de très sérieux signes de faiblesse et de mortalité » (2). En étudiant la mesure du diamètre des troncs, et donc leur vitesse de croissance, l’analyse des champignons mycorhiziens ou les invasions d’insectes, autant de témoins de l’état sanitaire des arbres, l’observatoire pointe le climat comme cause première : « Les arbres puisent dans les réserves d’eau qu’ils possèdent au niveau racinaire pour supporter la sécheresse mais cette faculté n’est plus suffisante lorsque les épisodes secs se multiplient » (2). Le stress hydrique subi fragilise les arbres qui deviennent plus sensibles à l’attaque des insectes. L’épicéa est le premier à dépérir « car cette essence, qui a fait l’objet de plantations d’après-guerre, n’est pas à son optimum écologique en dessous de 800 m d’altitude. Les sapins et les hêtres présentent eux aussi des signes de stress en raison du changement climatique, mais les dépérissements sont moins marqués ».
Un avenir d'incertitudes
Pour les remplacer, on replante du cèdre de l’Atlas, « une des essences qui ressortent comme les plus tolérantes au réchauffement », du pin de Salzmann, du sapin de Céphalonie ou du Bornmüller. L’évolution, c’est maintenant. Idée majeure : diversifier les essences pour éviter que les attaques de parasites déciment des zones entières, comme c’est le cas avec le scolyte sur l’épicéa. « Ce que l’on plante dépend du sol, de l’exposition, de la situation, mais diversifier les essences est bon pour la biodiversité, la sylviculture, voire le paysage. Nous avons des cadrages nationaux et territoriaux, mais sur le terrain, c’est nous qui décidons, car chaque secteur a ses spécificités. Nous avons des prévisions, des hypothèses basées sur les études du Giec, mais surtout beaucoup d’incertitudes. Qui sait ce qui se passera dans 50, 100 ans avec ce que l’on plante ? Par ailleurs, la décision de reboiser ou pas est importante car on ne veut pas faire prendre de risque aux communes et c’est à leurs frais ». Pour elles, la forêt est une ressource financière importante, mais qui a désormais un coût. Celui du reboisement, du suivi avant que l’ONF n’ait plus à intervenir. Et il faut un certain nombre d’années avant que les premières récoltes de bois soient possibles. C’est d’autant plus problématique que le prix de vente s’est effondré, notamment parce que sécheresse et maladies forcent à couper et que l’on a trop de bois avec des grumes de moins bonne qualité.
« Auparavant, la forêt produisait du bois d’œuvre sans que ça coûte trop cher en travaux, avec un retour sur investissement important. Ce n’est plus le cas. On favorise la régénération naturelle, mais si on ne reboise pas, il ne faut pas espérer avoir une forêt exploitable. Le niveau de dépérissement est inquiétant ».
Exploiter la forêt, pouvoir produire du bois d’œuvre de qualité est l’un des rôles de l’ONF, mais n’est pas le seul. « La multifonctionnalité de la forêt est notre quotidien » déclare Laurent Paulin. Gestion, entretien, prévention des risques, accueil du public, protection de la biodiversité donnent à ses techniciens des fonctions à la fois économiques, écologiques et sociales. « On a l’obligation de proposer une exhaustivité des travaux aux communes même si elles ne sont pas obligées de suivre nos recommandations. Cela concerne tout ce qui nous semble pertinent de réaliser ». Dans le secteur de Laurent Paulin, ils sont 9 techniciens forestiers pour prendre soin de 16 800 ha. « On marque énormément d’arbres donne-t-il en exemple de cette fonction primordiale de gestion et d'entretien. On fait ce martelage pour indiquer les arbres à couper ou non. Il nous arrive de conserver des arbres abîmés, pour la biodiversité. Cela peut-être une essence rare ou un arbre à cavité pouvant servir d’habitat ». Laurent Paulin passe 50 % de son temps sur le terrain. Il évalue à 60 le nombre de jours de martelage cette année. Une activité essentielle car elle permet de façonner la forêt de demain.
S.P.
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